lundi 12 septembre 2011

Perpignan Brest

Etape 5

Il est 04H15 quand je me réveille ; je me prépare tranquillement. A 04H45, je commence à pédaler en direction de l’hôtel de police ; mais il est protégé par un rideau de fer ; je me dis :
« Non ! Je ne vais pas devoir attendre huit heures quand même ? »
Mais non, il y a un panneau qui le dit clairement :
« En cas d’urgence, sonnez ! »
C’est une urgence, j’ai un rendez-vous important avec moi-même. Je sonne et le rideau se lève, non pas par magie, mais un jeune agent de police me reçoit. Il me semble fatigué. Il doit l’être vraiment car il n’en revient pas d’avoir devant lui un énergumène en tenue de vélo qui lui demande non seulement un tampon mais aussi une signature. Il doit chercher pour voir s’il n’y a pas une caméra cachée car il regarde autour de moi puis dehors. Alors je lui explique en quelques mots le principe du départ d’une diagonale en vélo ; pour le rassurer je sors le carnet de l’aller pour qu’il puisse voir que le jeudi soir ses collègues m’avaient apposé le tampon et la signature. Pendant qu’il obtempère, je lui demande la route pour sortir de Perpignan en vélo. Il m’explique que je dois chercher le pont Joffre : c’est facile, dit-il, car il suffit de faire demi-tour pour prendre le cour de Lazare Escargel, de monter toujours tout droit et au casino de prendre sur la gauche. Je pars comme il m’a gentiment expliqué pour ma deuxième diagonale ; je prends le cour ; jusque là, pas de soucis ; mais ensuite j’ai un problème : je ne sais pas si je dois monter ou non, et, surtout pendant la nuit quelqu’un a fait disparaitre le casino et, en plus, sans prévenir la police !... Dans les rues de la ville, je cherche un casino, au moins l’indication du pont Joffre. Je dois l’avouer maintenant, je ne trouverai jamais ce pont ni maintenant ni plus tard, mais patience. Je trouve sur ma gauche une pancarte « aéroport ». J'y suis passé devant à l'aller. Il me suffit donc de prendre la même direction.
Mais c’est alors que survient un incident dramatique : un camion me double et s’arrête au feu rouge. Je prends la même direction. Le camion avance lentement puis il s’arrête un moment; en regardant sur la gauche je vois un autre camion à l’arrêt. Je pense donc que celui qui me précède doit manœuvrer pour passer. C’est à ce moment que je vois qu’il recule sur moi. Cela ne sert à rien de crier, il ne m’entendra pas ; je fais vite pour passer l’avant du vélo et moi-même sur la gauche ; je ne comprends pas, il continue. S’il regarde dans son rétroviseur, il doit me voir. Je ressens un léger choc à l’arrière de mon vélo : mon porte-bagages est de travers ; je l’aligne de nouveau, j’essaie de rouler et là, patatras, ma roue arrière touche. Je ne suis plus du tout calme à ce moment précis. Le conducteur du camion descend comme si rien ne s'était passé. Nous allons avoir un échange vif et surtout non constructif. Finalement il m’ignore et fait sa livraison comme si je n’étais pas là. Que faire ? Téléphoner à la police ? Mais je n’ai pas de témoin, et surtout elle ne viendra pas. Je pourrais dire que je suis blessé, mais ce n’est pas le cas, je pourrais même être accusé d’outrage à agent, de faux témoignage, mais j’ai assez d’ennuis pour le moment. Mon cerveau ne réfléchit plus. C’est pour moi une énorme déception, j’envoie des messages pour annoncer la fin prématurée de ma diagonale. Là dessus, deux jeunes Perpignanais passent près de moi ; l’un d’eux regarde mon vélo, les pancartes ; il s’arrête et me demande si je suis breton ; devant l’affirmatif, il appelle son copain et je vais avoir droit au jugement traditionnel :
« Nous revenons de Brest, nous aimons les Bretons, mais c’est bizarre un breton à jeun ! »
Je préfère ne pas répondre, et que dire?
« Mais oui, c’est bien sûr ! Que voulez-vous que nous buvions d’autre ? Notre eau est pleine de nitrate et d’algues vertes. »
Enfin, ils se mettent à chanter ; je n’ai pas trop envie de les accompagner, ils partent. Il ne me reste plus qu’à retourner vers la gare SNCF ; je vais m’apercevoir au comble de ma colère que j’ai tourné en rond. Je suis à moins d'un kilomètre de l’hôtel de police et de la gare SNCF. Le guichet de la gare est fermé et une affiche indique « GRÈVE ». Toutefois, il y a une personne au guichet « accueil » ; je lui demande si elle pense que cela va s’ouvrir, elle n’est pas certaine ; c’est la catastrophe. Je suis là comme un oiseau blessé dans la gare avec mon vélo. Je décide de prévenir mon épouse, à 06H15. Sa première réaction est de savoir si je suis moi-même blessé et la deuxième c'est « j’arrive ». Elle, qui ne voulait pas faire 1100 kms en voiture, n’hésite pas une seconde. En passant, elle récupère notre fils aîné ; ainsi ils seront deux pour conduire. J’erre dans la gare ne sachant quoi faire. Je finis d’envoyer mes messages de fin. Je me rends dans le café de la gare de l’autre côté de la rue. Je veux trouver un endroit pour mettre mon vélo. Je demande au barman ce service, mais il ne veut pas prendre la décision. Il m’envoie vers le patron à qui j'explique mon aventure et surtout ma galère ; il accepte immédiatement et demande au barman de m’ouvrir la porte de la cave ; celui-ci va s’exécuter de mauvaise grâce. Je retourne vers la gare SNCF, hagard ; je retrouve mon banc ; des messages arrivent ; je réponds. Ainsi je dis à Yvan que je vis très mal ce moment, que je considère comme un échec profond et que c’est le glas des longues randonnées à vélo. Je n’arrive toujours pas à réfléchir convenablement. Je m’endors d’épuisement pendant une demi-heure environ. À mon réveil, mon cerveau fonctionne bien de nouveau ; que je suis stupide ! Car il existe sûrement un magasin de vélos à Perpignan. J'appelle mon autre fils afin qu'il me trouve le numéro du magasin Décathlon. Il m’envoie par SMS le numéro, j’appelle le magasin, j’explique mon problème au responsable des cycles qui me dit de venir tout de suite et qu’il va tout mettre en place pour résoudre ma galère. Le moral remonte : enfin une bonne nouvelle dans ce monde cruel ! Ha ! Ha ! Ha ! Je téléphone à mon épouse ; mon fils, qui décroche, ils sont déjà à Nantes, mais pas encore sur l’autoroute ; je lui dis qu’il faut qu’ils attendent et que j’essaie de réparer mon vélo. Je retourne au café de la gare où tout à l’heure j’ai eu le sentiment que le barman n’avait pas apprécié que le patron accepte de mettre mon vélo dans la cave ; je lui demande donc avec gentillesse, quand il aura un moment de libre, de m'accompagner pour me permettre de reprendre mon vélo. Je dois patienter dix bonnes minutes avant qu’il me demande d’aller devant la porte de la cave. Quand il arrive, j’ai droit à un discours auquel je ne m’attendais pas : ce sera vingt euros. Le pauvre, il ne sait pas encore, mais je déteste ce genre de tentative d’extorsion d’argent ; il va en être pour ses frais, je lui rappelle que j’ai demandé un service et pas obligatoirement payant. Après cet échange d’aimables paroles, je pars à la recherche du magasin Décathlon, que je trouve facilement grâce aux indications du responsable. Le technicien, auquel il me conduit regarde mon destrier blessé et m’assure qu’il peut arranger ma roue. Il y passe un long moment, mais au final il me rend mon vélo avec un petit commentaire :
« Voilà, je vous ai rendu la roue la plus droite possible ; vous allez pouvoir reprendre la route, mais à Brest il sera prudent de la changer. »
Je suis heureux. Arrivé dehors, je téléphone à mon fils pour lui dire que je rentre en vélo. J’envoie des messages pour annoncer la nouvelle. Bien que j’ai sept heures dans le nez, je repars.
Il est midi, mais l’épopée de Perpignan n’est pas encore finie. Comme je n’ai visiblement rien compris ce matin, je retourne au commissariat pour demander ma route. Cette fois-ci, je ne cherche plus un casino mais le tribunal. Je dois être stupide ou idiot et visiblement je ne comprend pas le français... je tourne en rond. Etant donné que le pont Joffre a été démoli la nuit dernière, et qu’il me faut tout de même en trouver un, le premier venu fera l’affaire. Ensuite j’ai entendu parler du CHU et il y a un panneau qui indique la direction ; c’est bon : j’y vais. Puis je lis « Moyen Vernet », mais ce n’est pas encore la sortie de Perpignan, sinon ce serait tellement facile ; au contraire c’est une entrée sur les quatre voies. Il faut donc faire demi-tour. Je trouve une route qui semble passer par-dessus, je l’emprunte : ouf ! C’est la délivrance, mais non, j’ai cru trop tôt, c’est un cul-de-sac. Je vois bien de l’autre côté, la route et l’aéroport et, comme ma patience à des limites, je décide d’entrer dans un champ de vigne ; au bout il y a un taillis avec des ronces : ce n’est pas grave. Je le franchi, puis encore une petite butte ; qu’à cela ne tienne, je porte mon vélo, la route est là tout à côté, mais auparavant je dois passer sur des rails puis encore une butte des ronces, et enfin c’est la route. Cette fois-ci l’épisode de Perpignan est terminé.
Mon seul désir est d’atteindre Estagel pour poster ma carte et ainsi commencer ma remontée vers Brest. Tout d’abord, il faut que j’évacue toute ma colère ; alors comme je fais souvent, je laisse sur le bord de la route mes soucis ; comme je dis, je formate mon disque dur. J’arrive presque soulagé dans le bourg d’Estagel ; à la poste j’accomplis mon devoir de diagonaliste : je poste ma carte postale puis je donne un rapide coup de téléphone à ma fille pour qu’elle annonce mon passage et « vogue, Vincent ». La route jusqu’à St Paul de Fenouillet est en montée ; il fait très chaud ; je m’arrête dans le centre-ville pour avaler une boisson fraîche, mais il me faut repartir « Ne pas perdre trop de temps » sera le leitmotiv du retour. Dès la sortie de la ville en direction de Rennes-les-Bains, la route s’accentue inexorablement ; je vais devoir gérer cette longue montée jusqu’à Burgarach. Ensuite la descente est douloureuse, je n’arrive pas à rester en ligne sur mon vélo, mes cervicales se réveillent lorsque j’arrive à Rennes-les-Bains, je m’arrête sur la place du village, il fait chaud. Je profite pour remplir mes gourdes mais surtout je téléphone à la maison ; au son de la voix de mon épouse, je sais qu’elle est en colère ; alors je lui dis de libérer sa colère, légitime par ailleurs, car elle est fatiguée : elle vient de faire 600kms en voiture. J'apprends aussi que notre fils n’avait pratiquement pas dormi, il ne pouvait donc pas conduire et pour couronner le tout j’avais fait capoter un rendez-vous qu’elle avait en matinée. Elle me demande une énième fois si je n’ai rien eu le matin et puis si ma roue va tenir. Il est temps pour moi de reprendre la route ; je vais rejoindre Couiza puis une longue descente pour chercher Limoux. Ensuite le profil est beaucoup moins favorable jusqu’au prochain contrôle. Je m’arrête sur le bord de la route pour m’équiper afin de ne pas être surpris par la nuit bien que j’ai encore du temps devant moi. Je m’aperçois à ce moment que, depuis hier soir, je n’ai rien mangé, tant pis, je vais devoir attendre le lendemain. Je repars tranquillement. Nous sommes samedi soir, déjà des voitures me doublent à vive allure et des « Vas-y fainéant, pédale ! » fusent des véhicules. Quoique qu’il advienne, je dois m’arrêter pour le début de la nuit au moins. J’opte donc pour un arrêt à Castelnaudary, où j’arriverai tout à l’heure. En arrivant devant le panneau de Lasserre Prouille je décide de prendre mon vélo en photo sous le panneau pour le contrôle.
Je repars très vite pour rejoindre Villasavary puis c’est de la descente. En arrivant à Castelnaudary, je trouve un endroit pour passer la nuit. Je m’endors pour la dernière fois dans un lit au chaud. La prochaine fois ce sera mardi soir et dans mon lit cette fois.

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